Les confessions de JM - Châtelaine, janvier 2007

Propos recueillis par Mylène Tremblay
Publié dans Châtelaine de janvier 2007
© Les Éditions Rogers ltée


Qu’est-ce qui vous passionne en ce moment ?
La vie, tout simplement. Pas seulement la mienne, celle du monde. Parce que le cinéma est un art collectif et la vie, si on veut bien la vivre, c’est un art collectif aussi. On ne peut pas s’enfermer sur soi-même. Je suis très consciente du privilège que j’ai d’interpréter des personnages. Je vais chaque fois à la découverte d’une personne différente, vivant dans un univers que je ne connais pas. Là, par exemple, pour Roméo et Juliette, le dépaysement était absolu puisque j’ai tourné au Québec une histoire qui se passe au Québec, avec des Québécois. Je suis le seul personnage d’origine française. Dans cette adaptation, je joue une femme mystérieuse, la grand-mère de Juliette. La petite (Charlotte Aubin) est miraculeuse. J’espère qu’elle va s’épanouir.

Quelle est la facette de votre travail qui vous intéresse le moins ?
Aucune. Même la promotion me donne l’occasion de parler avec des gens que je ne connais pas. Suivant leurs questions, je les découvre autant qu’ils me découvrent. Et ça, c’est l’expérience. En 2008, ça fera 60 ans que je fais du théâtre et du cinéma. J’ai commencé par le théâtre, au Conservatoire et à la Comédie-Française. J’ai fait mon premier film en 1948 (Dernier amour, de Jean Stelli), alors que j’étais devenue pensionnaire de la Comédie-Française [elle quittera l’institution quatre plus tard pour se joindre au Théâtre National Populaire]. J’y ai rencontré Michelangelo Antonioni [La Notte, 1960 ; Par-delà les nuages, 1994], Orson Welles [Le Procès, 1962 ; Falstaff, 1965 ; Une histoire immortelle, 1966] et beaucoup de gens de cinéma avec lesquels j’ai tourné par la suite.

Quelle qualité essentielle voulez-vous retrouver chez vos amis ?
La fidélité, la durée. Parce que si les relations amoureuses, basées en général sur la passion, se transforment et quelquefois prennent fin, les ruptures d’amitié sont certainement les plus douloureuses.

De qui êtes-vous le plus proche dans votre famille ?
Je suis plus proche de la famille que j’ai choisie que de ma propre famille. Mon amie la plus ancienne, je l’ai connue en même temps que Marguerite Duras, en 1958. C’est Florence Malraux, la fille d’André [l’écrivain français]. Ce soir, elle vient dîner ! Parce que les week-ends, quand je suis à Paris, je fais toujours la cuisine. Tout est déjà planifié. Je suis très bonne cuisinière, très méthodique.

Qu’est-ce qui vous motive dans la vie ?
L’énergie, la curiosité, aller à la découverte des autres, prendre soin d’eux, s’améliorer. Je pense que la vie, c’est comme un jardin en friche que vous recevez à la naissance. On espère partir en laissant un très beau jardin. Comment il est mon jardin ? Il est très bien mon jardin ! Depuis le temps, il n’est plus en friche [rires]. D’ailleurs sur mon balcon, j’ai des roses. J’en suis à la quatrième floraison.

Quels souvenirs avez-vous de votre premier amour ?
J’en ai eu un fils [Jérôme, né en 1949] et j’ai toujours des relations très profondes avec le père de mon enfant [le metteur en scène et comédien Jean-Louis Richard]. C’est quelque chose qui est précieux. Je l’ai rencontré j’avais 16 ans, il en avait 17.

Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Le malheur des autres ne me fait pas rire. Quelqu’un qui tombe dans la rue ne me fait pas rire. Je ne suis pas tellement sensible au comique actuel, au cynisme. Le rire, c’est quelque chose de spontané. Ça naît d’une ambiance, d’un rapport avec des gens. Je rencontre énormément de monde, je voyage beaucoup. En plus, maintenant, j’ai un atelier de cinéma dans la ville d’Angers, destiné aux futurs jeunes réalisateurs qui se préparent à leur premier long métrage. Il m’arrive de rire et d’être émue, tout va ensemble. Il y avait une période où on annonçait les films en disant : c’est une comédie dramatique. La vie est une comédie dramatique.

Le meilleur conseil qu’on vous ait donné ?
[Long silence] On ne m’a pas tellement donné de conseils. Et moi, je n’en donne pas. Je pense que le respect de l’autre, c’est justement de l’aider à entretenir cette flamme intérieure qui peut être celle de la créativité et de prouver qu’on a confiance. C’est le plus beau cadeau. Dans mon travail, je peux aider les autres au plan de la concentration, de la générosité, de la façon d’appréhender un texte, une situation, mais c’est surtout à travers l’attention que je porte aux gens que je les aide. Tout film qu’on fait, on le fait avec dedication [dévouement : on se souviendra que sa mère est anglaise]. Ce qu’il y a d’extraordinaire, malgré le nombre de films que j’ai faits [plus de 125], c’est comme si c’était la première fois chaque fois. C’est d’y dépenser toute son énergie. Quand je tourne, je ne pense qu’à cela.

Où avez-vous été le plus heureuse ?
Ah ! sur un plateau, je suis toujours très heureuse. Chaque fois, c’est un plaisir. Je n’ai pas de carrière, ma vie, c’est d’être comédienne. Je suis très heureuse aussi quand les rapports que j’ai avec les gens sont harmonieux.

Qu’est-ce qui vous fait vraiment peur ?
Il y a sûrement une dose d’inconscience chez moi : à part la peur de la souffrance chez les gens qui me sont proches, je n’ai pas de peur personnelle.

Quelle est votre définition du bonheur ?
Ce mot a un sens différent suivant les individus. Moi, je pense que c’est l’harmonie. C’est l’accord entre le corps et l’esprit, les sens et les sentiments. C’est un état auquel on aspire et on en voit des moments. Et puis, il y a des joies éphémères qui sont très importantes.

Votre film-culte ?
Il y a des films qui m’ont marquée, comme le premier d’Orson Welles (Citizen Kane, 1940), la découverte d’Hitchcock, les vieux films muets de Griffith, l’impressionnisme allemand... J’ai été présidente du jury au Festival international du cinéma de San Sebastian (septembre 2006), j’ai vu quelques films très beaux, dont deux que nous avons couronnés : le film Half Moon, de l’Iranien Bahman Ghobadi, un road movie très simple, drôle et émouvant, et puis une comédie dramatique du jeune réalisateur français Martial Fougeron, Mon fils à moi, un film très dur, où Nathalie Baye a eu à l’unanimité le prix d’interprétation.

Avez-vous des regrets ?
Non. C’est inutile. Les erreurs sont aussi essentielles. Nous sommes imparfaits et nous sommes là pour apprendre.

Quelle a été votre première désillusion ?
Je n’ai pas eu de désillusion parce que je n’ai jamais eu d’illusion. Très jeune, j’ai trouvé que les adultes étaient vraiment des êtres étonnants, absolument irrationnels, surprenants, victimes de leurs passions, et quelquefois étant leur pire ennemi. Ça m’arrive aussi d’être mon pire ennemi. Le doute, c’est quelque chose qui peut vous emporter. Bien sûr que je doute. J’ai un désir d’excellence, je ne veux pas décevoir, je veux aller au plus profond d’un personnage, lui donner vie.

Les artistes ont-ils une responsabilité sociale ?
Les artistes ont une responsabilité artistique. C’est une grande responsabilité : on ne doit pas interpréter des trucs médiocres et dégueulasses simplement pour gagner de l’argent.

Qu’est-ce qui vous impressionne ?
La droiture, l’absolue intégrité, l’achèvement de quelque chose de beau.

Pensez-vous parfois à la mort ? À la vieillesse ?
Y penser, c’est un peu léger, c’est savoir que c’est la fin du parcours. Des morts, j’en ai vus, je suis une enfant de la guerre. J’ai vu des gens tués, assassinés, des morts qu’on veillait, qu’on habillait... Maintenant, on les cache, les morts.

Qu’est-ce qui vous ennuie profondément ?
Ah ! la prétention ! [soupir]. J’évite ce genre de choses – on finit par choisir les gens qu’on fréquente. Mais la prétention existe partout, pas tellement plus dans mon milieu que dans d’autres. À cause des magazines consacrés au cinéma, les people, on donne une image. Mais moi, j’ai connu dans mon milieu des écrivains, des peintres, des gens modestes, absolument magnifiques. Toute la richesse que j’ai reçue de la vie, je l’ai reçue à travers eux.

Qu’est-ce qui vous met en colère ?
Le monde de la politique et les politiciens. Ce sont des gens qu’on met au pouvoir et qui mènent le destin du pays selon une image d’eux-mêmes, mais pas pour le bien du peuple. Les hommes politiques sont maintenant plus suivis par les photographes et les télévisions que les grandes stars américaines.

Le don que vous voudriez posséder ?
Moi, je me satisfais de ce que j’ai. J’aurais aimé avoir le don de l’écriture, mais j’ai l’habitude de créer avec les autres lorsque j’écris. La page blanche, c’est quelque chose d’extrêmement pénible pour moi. J’ai écrit un disque [Le jardin qui bascule, 1974], des scénarios [Lumière, 1975 ; L’adolescente, 1978 ; Le portrait de Lillian Gish, 1983], mais c’est par période.

Quelle est, selon vous, la plus grande injustice de la vie ?
[Elle réfléchit longuement. ] Vous savez, l’injustice, elle ne vient pas de la vie. Ce sont les hommes qui créent les inégalités. Quand on dit « Liberté, égalité, fraternité », c’est faux, ce n’est pas un régime politique qui va nous rendre égaux. Il y a des échelons dans la société, il y a des gens qui sont mieux partis que d’autres. C’est pas vrai que les plus privilégiés font tout pour que ceux qui le sont moins puissent bénéficier de certaines choses auxquelles ils n’ont pas accès.

Avez-vous des auteurs préférés ? Un livre qui vous a inspirée, transportée ?
Oh là là, ça change, ça change. Je termine en ce moment un livre qui a paru au début du siècle, écrit par Robert Musil, L’homme sans qualités. On me l’avait donné à lire en 1975 et là, je le redécouvre puisque je n’avais jamais pu passer à travers les 1 200 pages. J’en suis à la page 800. Je trouve que c’est une œuvre absolument magnifique et prémonitoire. Il y est question de toute la montée du fascisme. Je lis aussi Spinoza, je relis les nouvelles de Tchekhov... Je lis très peu de romans contemporains. J’aime beaucoup les biographies, comme celle de la femme de James Joyce, Nora, une Irlandaise comme ma grand-mère. [Nora : The Real Life of Molly Bloom, par Brenda Maddox, Paperback] Nora Joyce a publié aux États-Unis et n’a jamais été traduite.

Avez-vous un désir inassouvi ?
Non.

Le geste le plus fou que vous ayez fait ?
C’est très personnel... C’est mon entreprise de séduction de Pierre Cardin. Si ça a fonctionné ? Bien sûr ! On a vécu quatre ans ensemble, dans les années 1960. Je lui ai tendu des pièges et il y est tombé. Il me disait « Ah, je suis homosexuel ! », je me disais « Je m’en fous ! Je l’aime, je le veux ! »

Trois choses que vous avez accomplies dont vous êtes le plus fière ?
Je n’en sais rien du tout. Être fière de quelque chose... Ce sont des témoignages, des rencontres que j’ai faites il y a cinq, dix, quinze ans, une conversation que j’ai eue dans un aéroport et, tout d’un coup, des inconnus qui m’écrivent et qui arrivent à me joindre, qui me remercient pour quelque chose que j’ai fait et dont je n’avais pas conscience. Mais faire quelque chose en me disant : si je réussis, je serai fière, ça, ça m’emmerde !

Quand vous vous regardez dans le miroir, que voyez-vous ?
Je me vois adolescente. Toujours déterminée. C’est-à-dire qu’à travers mon visage, je vois l’intérieur. Il n’est pas altéré.

La personne que vous auriez aimé rencontrer ?
Moi, j’ai rencontré tous les gens que je voulais. Et ce n’est pas fini, je vais en rencontrer sûrement d’autres. Je suis ouverte à l’aventure, au surprenant, à l’inattendu.

Quelle est votre devise ?
J’en avais une, je l’ai laissée tomber. C’était : « Je ne suis la fille de personne et la mère de personne. » Mais j’ai découvert que j’étais la mère de beaucoup d’enfants de tous âges. Je suis au service des gens. Je n’ai pas encore trouvé de nouvelle devise.

Quel autre métier (ou profession) auriez-vous aimé exercer ?
À un moment donné, je voulais abandonner le cinéma, j’en avais parlé avec Marguerite Duras. Je me suis beaucoup intéressée à l’histoire des religions, à la psychanalyse. J’avais lu des livres d’un psychosomaticien anglais magnifique, Michael Balint, qui s’occupait d’enfants en difficulté. Et puisqu’il n’y avait pas de limite d’âge pour les études médicales en Angleterre comme c’est le cas en France, j’avais pensé m’exiler et travailler avec lui. Il y a une voix qui m’a dit : « Écoute, t’as reçu un don, et c’est une mauvaise action que de ne pas aller jusqu’au bout de ce que tu as reçu. »

Êtes-vous devenue sage ?
Par moments, il me semble que je suis sage et par moments, il me semble que je ne le suis pas. Sinon, je ne verrais pas l’adolescente qu’il y a en moi ! Quand on est adolescent, on n’est pas sage.

Qu'allez-vous faire dans les temps qui viennent ?
Là, je travaille avec deux jeunes réalisateurs à deux projets de films. En fait, j’ai trois films en projet. Deux se passent en France, en province, et le troisième part d’Avignon, passe par le nord de l’Italie, Trieste, et se termine dans le désert d’Israël. Je ne peux pas en parler plus, ce n’est pas la peine, on parle de tout avant, c’est comme si c’était déjà fait.